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L'étude de texte - 

Un auteur, un texte  par J. Llapasset 

ALAIN   (1868-1951)

L'inconscient, abrégé du mécanisme. (Éléments de philosophie, II, XVI) 

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"L' inconscient est donc une manière de donner dignité à son propre corps; de le traiter rumine un semblable, comme un esclave reçu en héritage et dont il faut s'arranger.  "L' inconscient est donc une manière de donner dignité à son propre corps; de le traiter comme un semblable, comme un esclave reçu en héritage et dont il faut s'arranger. L'inconscient est une méprise sur le Moi, c'est une idolâtrie du corps. On a peur de son inconscient; là se trouve logée la faute capitale. Un autre Moi me conduit qui me connaît et que je connais mal. L'hérédité est un fantôme du même genre.  «Voilà mon père qui se réveille; voilà celui qui me conduit. Je suis par lui possédé». Tel est le texte des affreux remords de l'enfance; de l'enfance, qui ne peut porter ce fardeau; de l'enfance, qui ne peut jurer ni promettre; de l'enfance, qui n'a pas foi en soi, mais au contraire terreur de soi. On s'amuse à faire le fou. Tel est ce jeu dans dangereux. On voit que toute l'erreur ici consiste à gonfler un terme technique, qui n'est qu'un genre de folie. La vertu de l'enfance est une simplicité qui fuit de telles pensées, qui se fie à l'ange gardien, à l'esprit du père; le génie de l'enfance, c'est de se fier à l'esprit du père par une piété rétrospective, «Qu'aurait-il fait le père? Qu'aurait-il dit?» Telle est la prière de l'enfance. Encore faut-il apprendre à ne pas trop croire à cette hérédité, qui est un type d'idée creuse; c'est croire qu'une même vie va recommencer. Au contraire, vertu, c'est se dépouiller de cette vie prétendue, c'est partir de zéro. «Rien ne m'engage»;  «Rien ne me force».  «Je pense donc je suis.»  Cette démarche est un recommencement. Je veux ce que je pense, et rien de plus. La plus ancienne forme d'idolâtrie, nous la tenons ici; c'est le culte de l'ancêtre, mais non purifié par l'amour.  «Ce qu'il méritait d'être, moi je le serai». Telle est la piété filiale.
En somme, il n'y a pas d'inconvénient à employer couramment le terme d'inconscient; c'est un abrégé du mécanisme. Mais, si on le grossit, alors commence l'erreur; et, bien pis, c'est une faute."
Alain, Éléments de philosophie, II, XVI

Avec les termes hérédité et père, Alain s'attaque maintenant à la thèse, qui, en insistant sur le poids du passé, identifie le surmoi, cette instance qui surveille le moi, avec l'intériorisation des interdits lancés par le père: ce sont paroles de fantômes: fantôme désigne l'apparition d'une personne morte, une simple apparence sans réalité et bien incapable d'agir sur ceux qui ont un corps. Le passé n'est plus et ne saurait agir que par l'importance que nous lui donnons.

Alain revient maintenant à l'enfant. L'enfant est tout neuf. Il est sincérité ce qui signifie qu'il n'est pas de mauvaise foi et qu'il ne songe pas à invoquer l'inconscient comme une excuse.

La vertu de l'enfance c'est le recommencement: il a à faire son propre chemin là où l'ancêtre avait fait le sien. Ainsi la vie humaine, à chaque génération s'ouvre comme un champ où il n'y a pas de sentier tracé. La vie humaine est une région sans sentier. Alors on ne répète pas sous le regard de l'ancien, on recommence. L'hérédité est donc le type, ce qui reflète le mieux le vide d'une idée creuse, une idée fantôme de l'imagination à quoi ne correspond rien dans la réalité. On peut donc se dépouiller de cette prétendue vie qui serait tracée d'avance, car on sait bien que les caractères acquis par ceux qui nous ont engendrés n'étaient pas transmissibles, heureusement.
La référence à Descartes s'imposait, à lui qui, à l'encontre de l'argument d'autorité, a voulu tout recommencer, rebâtir la philosophie, la science, à partir de la certitude de son moi: je suis, j'existe. En partant de ce fondement, Descartes n'a fait que suivre le bon sens: il a renoncé à ce jeu dangereux de l'adulte qui se prend pour un enfant ou un adolescent, un être surveillé et qui frise ainsi la démence. Jeu dangereux, s'il en est, parce que, en renonçant à faire ce que je veux, je renonce à une vie humaine. C'est une folie au sens où le dément ne distingue plus l'imaginaire de la réalité. Il s'agit de renvoyer la tradition et singulièrement Aristote au passé qui fut le leur. Il s'agit d'affronter sa liberté et sa responsabilité ("je veux ce que je pense"). Descartes, parti d'un si bon pas, pour se choisir en choisissant.

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