=> Puissances
de l'imagination: l'institution, l'ordre et l'imaginaire
(page 61)
Toute
institution se nourrit de règles imaginées qui, pour être un
pur produit de l'imagination, n'en sont pas moins
contraignantes, au point d'exclure de l'ordre institué celui
qui ne les suivrait pas. Or, Don Quichotte, tout à la joie de
son nouvel état de chevalier errant et à la facilité de
monter à cheval et de s'éloigner, ne pouvait que se soucier de
ne pas avoir été armé chevalier, ce qui l'excluait de l'ordre
et lui interdisait de s'en réclamer devant les autres et devant
soi même comme de se conduire en chevalier au hasard de ses
rencontres.
"Ce qui le chagrinait, c'était de n'être pas encore armé
chevalier, car il lui semblait impossible de s'engager légitimement
dans une aventure sans avoir été admis dans l'ordre de la
chevalerie." (page 67)
Pour
entrer dans un ordre, dans une société symbolique qui, comme
un terme du langage ne se définit que par ses différences avec
les autres mots, il faut en adopter les institutions, entrer
dans un nouvel ordre social spécifique qui incarne, dans un
imaginaire, des significations produites par l'imagination.
En entrant en chevalerie, Don Quichotte se distinguera
radicalement des autres, dans la mesure où il entre dans un
rapport hiérarchique avec d'autres groupe sociaux (paysans,
valets, filles publiques, hôtelier...) qui eux mêmes sont
regroupés par des accords, des règles implicites ou explicites
tout aussi imaginaires.
En un sens le
chevalier errant que va devenir Don Quichotte sera voué à la
solitude:
d'abord parce que le groupe social auquel il souhaite appartenir
n'existe plus. Ensuite parce que les autres groupes sociaux
qu'il rencontre auront de la peine à le prendre au sérieux,
enfin par son statut hiérarchique qui le sépare de ceux que sa
bravoure veut secourir et qui la plupart du temps n'ont que
faire de son aide.
Le
problème c'est qu'en voulant vivre une vie de chevalier errant,
Don Quichotte se doit de rencontrer des semblables, des
seigneurs, des châteaux, des gentes dames... alors que tout ce
contexte social a disparu.
Celui
qui veut jouir d'un songe est bien obligé d'utiliser ce pouvoir
d'irréalité qu'est l'imagination, pour peindre la réalité
aux couleurs de ses rêveries et de ses souvenirs de lecture.
Voilà pourquoi lorsque nous essayons de raisonner un passionné,
il nous rétorque toujours: prenez mes yeux!
Don Quichotte va donc déployer de l'irréalité, des éléments
sans lequel son monde né de l'imaginaire perdrait sa
signification et deviendrait, à ses propres yeux anachronique.
Pas de
vie humaine sans culture, sans institution de l'imaginaire qui réunisse
les individus en groupes Autres. Pas de vie humaine sans un
ordre à l'intérieur du groupe et entre les divers groupes, une
hiérarchie constituante. Ainsi la puissance de l'imagination
c'est de produire un imaginaire grâce auquel une vie peut
devenir pleinement humaine. C'est pour cela que la vraie vie est
ailleurs, cette vie pleinement humaine, cette vie que Don
Quichotte poursuit en refusant systématiquement la perception
donnée qui falsifierait sa rêverie.
Vers
Sur le chapitre
second: .Page
2. Puissance
de compréhension et d'incompréhension
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