Conclusion
Répondre à cette question a engagé deux visions du monde
différentes. La première, rationaliste en un sens restreint,
utilitariste, réaliste, mais aussi pourrait on dire << ancienne >>,
épicurienne ou stoïcienne, postule qu'il est absurde de désirer
l'impossible : insensé, vain, révélateur d'un mauvais calcul, voire
d'un masochisme dont nous pouvons sortir en écoutant la voix de
notre raison et en faisant un effort de volonté. Mais il est une
autre vision du monde, plus idéaliste que réaliste, probablement
plus << moderne >> qu' << ancienne >>, moins attachée à faire de la
souffrance humaine le principal ennemi, au sein de laquelle désirer
l'impossible a du sens.
Non seulement cet impossible visé vient peut-être donner le sens même
du désir, et de ce qui le distingue du besoin, mais en plus il semble
être la condition d'un meilleur rapport au réel, d'une meilleure façon
de vivre sa condition humaine. Il faut donc désirer l'impossible pour
développer au contact de ce désir le meilleur de soi, pour être riche
de cet espoir nous permettant d'atteindre au moins le possible, mais à
une condition : ne pas franchir la frontière qui sépare le rêve du
délire, l'idéal de l'utopie ou de l'idéologie.
Texte // << Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur
Rêver, sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser, sans n'être qu'un penseur….
(…) Tu seras un homme, mon fils >>,
Rudyard Kipling, << If >>
Rêver, sans laisser ton rêve être ton maître : être idéaliste
Rêver, en laissant ton rêve être ton maître : le danger de l'idéologie.
Charles PEPIN
Extrait de « Ceci n’est pas un manuel de philosophie » (Flammarion,
Octobre 2010)
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