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« Puissances de l'imagination »

(voie d'accès choisie: le pouvoir de l'imaginaire - Perspectives par Joseph Llapasset)

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  • La vérité du romanesque: si le grain ne meurt ...

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=> La vérité du romanesque est la forme caractéristique du romanesque: le romancier joue le rôle du narrateur, revenu des illusions et désormais à l'extérieur du rêve: il reste cependant apte à des analyses puisque par la mémoire, il retrouve ce qu'il a vécu sous le pouvoir de l'imaginaire. En lisant son désir, il l'a vaincu,  et attribue désormais au pouvoir de l'imaginaire toutes les fantasmagories qui s'interposaient entre lui et l'objet qu'il croyait aimer. Pour mettre en évidence un  malentendu, un quiproquo, il faut bien porter un regard intuitif sur les deux interlocuteurs séparés par un abyme. 
Comment comparer si on n'accède qu'à un des points de vue, celui de la passion? L'auteur narrateur est donc le seul à pouvoir mettre en lumière le pouvoir de l'illusion comme satisfaction imaginaire d'un désir. Le projet du romanesque c'est de nous mener, par maïeutique, dans des analyses des illusions qui sont autant de marches vers la désillusion et cela se voit bien dans les oeuvres présentées ici:
Prendre ensemble les trois oeuvres  Lien ouverture nouvelle fenêtre

=> On qualifie de romanesque ce qui est le privilège du créateur de l'oeuvre par laquelle il met en évidence et donc limite le pouvoir qu'a l'imaginaire d'emprisonner ceux qui sont animés par le désir et ses corrélatifs l'orgueil ou le snobisme. La conscience, dans le cercle enchanté déployé par une structure fixée perçoit à travers l'imaginaire au point d'oublier ce qui dans l'objet aimé lui résiste ou lui répugne. C'est dire que l'auteur / narrateur est animé par le désir de la vérité et que s'il retrace en de longues analyses les méandres de l'illusion c'est pour exercer la maïeutique, chère à Proust, celle qui a été initiée par Socrate avec le jeune esclave de Ménon. Socrate ne manque pas d'indiquer l'invention de la règle opératoire qui permet la résolution du problème de la duplication du carré. Ainsi Proust amène son lecteur à retrouver en lui la solution du problème posé par le désir de vivre dans l'imaginaire d'autrui.

=> La règle opératoire du mécanisme de l'illusion, la structure du pouvoir de l'imaginaire tient à l'intervention d'un médiateur qui ne peut apparaître qu'à un regard objectif porté sur le rêve, de l'extérieur. L'homme, parce qu'il ne peut désirer seul, ne saurait choisir lui même l'objet de son désir: en ce sens la Princesse de Clèves ne peut se forcer à désirer son mari parce qu'il n'y a pas de médiateur qui le lui désignerait comme objet de son désir.  

En conséquence, il y a toujours un tiers qui permet de comprendre le pouvoir de l'imaginaire qui fait proliférer tout un tissu de justifications, toutes irréelles bien entendu puisqu'elles viennent le plus souvent du passé.

=> C'est à travers l'art et la figure de Botticelli que Swann rencontre le visage d'Odette, puis dans le déroulement, le médiateur ce sera les fleurs qu'il commencera par arranger sur le corsage et qui l'amènera à la rencontrer.
Comprenons bien que, à partir du moment où c'est le médiateur qui désigne l'objet, l'objet n'est pas désirable en lui même, ce n'est pas l'objet qui est aimé et cela permet de comprendre la dernière phrase de Swann dans l'oeuvre.
"Dire que j'ai gâché des années de ma vie, que j'ai voulu mourir, que j'ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n'était pas mon genre. " 

Le sens, la signification de l'orientation des oeuvres nous est donné par ce fait que c'est à partir d'une prise de conscience d'un narrateur revenu de toutes ses illusions que se déroule toute l'oeuvre vers la vérité progressivement révélée vers laquelle il faut entraîner le lecteur, dans une vie imaginaire dont on a l'espoir qu'elle lui épargnera bien des vicissitudes: donner à lire pour mieux vivre!

L'épilogue dans chacune des oeuvres témoigne ainsi de l'amour vrai qui est bonté et du même coup vérité ultime.
A partir du cercle enchanté dans lequel nous enferme l'imaginaire, contre lui, le romancier narrateur veut détourner de l'aliénation une rêveuse jeunesse: nous participons aux analyses, nous participons au mouvement de l'esprit par la maïeutique, à l'entreprise qui vise à briser l'illusion en la décomposant, en soulignant le pouvoir qu'a l'imaginaire d'affoler le désir par des irréalités au point de rendre aveugle à la réalité: passer de l'illusion à la désillusion. "C'est toi qui le diras".

=> Si le grain ne meurt ... à ceux qui seront passés par cette purification du pouvoir de l'imaginaire, reviendra la joie de comprendre: la différence entre Swann et le narrateur apparaîtra en toute clarté. Alors que Swann est, pour ainsi dire, mort à son passé dans la mesure où il ne peut réactualiser les impressions de son amour (il s'ennuie), le narrateur échappe à l'enchantement du cercle en découvrant comment le désir de vivre dans l'imaginaire de l'autre, l'investit au point de le défigurer. Il cesse alors de croire à l'objectivité de ce qu'il a élaboré et, débarrassé des tortures et de l'angoisse, il découvre son amour et qu'il est  amour.
Joie née de la compréhension, de la vérité d'un jugement que la mémoire et "la lecture du désir" ont rendu possibles.