=> Le
chapitre premier est comparable à une scène d'introduction qui
doit intéresser, donner des informations, annoncer l'action: on
peut donc l'étudier selon son intérêt littéraire, l'art du
romancier, son intérêt psychologique et son intérêt
dramatique (drama = action). Bien entendu la lecture d'un prépas
doit être particulièrement attentive à l'intérêt
psychologique, puisque Cervantès va produire une psychologie
de l'illusion et que le thème de l'année est, on le
sait, puissances de l'imagination.
=> D'emblée
Cervantès campe un personnage avec réalisme, par des notations
bien ajustées à la réalité, à ce qui peut être perçu et
donc sans faire appel à l'imagination: le lieu est un village
et ce que possède le personnage est présenté avec réalisme,
sans aucun fard qui prêterait à rêver: la simplicité frugale
de sa table, ses deux habits, un pour la fête, un autre pour le
quotidien; tout cela absorbe son revenu ce qui exclut la
fantaisie ou l'éclat du paraître.
=> Celui
qui s'appellera Don Quichotte est d'abord présenté dans la vérité
de sa condition, en un village quelconque dont il n'y a rien à
dire au point qu'on peut omettre de dire son nom sans grande
perte pour l'imagination et le récit; un gentilhomme pauvre: la
lance est au râtelier, ne sert donc plus à la guerre ou à la
parade guerrière; le bouclier est démodé, la femelle du lièvre
bonne à courir avec le chasseur, et un mauvais cheval aux flans
creusés par la maigreur due à une nourriture rare et frugale.
Simplicité,
pauvreté mais aussi vérité de celui qui ne cherche pas encore
à paraître.
=> Trois
lignes pour l'entourage proche.
Une gouvernante qui, en perdant la grâce de la jeunesse, ne
suscite pas le désir, une nièce jeune, et un valet bon à
tout. Pas de quoi porter au rêve ou à la passion.
Pourtant le personnage intéresse ce qui nous laisse à prévoir
qu'il pourrait bien s'évader, échapper au donné décevant qui
l'entoure, fuir ce qu'il perçoit en exerçant sa liberté, en
plongeant dans l'irréel vers des satisfactions toujours
nouvelles, vers une nouvelle vie; on pressent qu'il est prêt ou
qu'il se prépare à abandonner le cours ordinaire de sa vie
trop bien rythmée; prêt à se dégager de la réalité.
Ce
qui nous oriente vers l'imaginaire et qui nous laisse deviner
que le personnage étouffe un peu, c'est la "constitution
robuste" et cette activité matinale: ne peut-on pas tout
attendre d'un être robuste qui se lève tôt car il est fort et
résistant sur le plan physique comme sur le plan moral?
Notez la progression ascendante, corps => visage => énergie
morale, et dans les trois cas remarquez que la personnalité, la
liberté, la volonté sont suggérées par les qualificatifs:
secs, maigre, matinal, grand.
=> En
bref, un personnage peu banal, englué dans l'ennui d'une
quotidienneté rythmée par le retour d'un même temps fort, la
fête probablement religieuse ou par la chasse qui, -que Don
Quichotte en soit conscient ou pas- est une figure de la fuite,
de la conquête, de la gloire.
En acte, il n'y a pas grand chose, mais en
puissance, nous imaginons des capacités qui ne
demandent qu'à se réaliser grâce la volonté morale qui
laisse présager les grandes aventures.
=> Cervantès
fait alors une pose pour s'interroger sur le nom de son
personnage, pour s'attarder, pour nous dire en fin de compte que
cela importe peu. Cette pause, n'est-ce pas l'art du conteur qui
la ménage? Il sait faire attendre, il laisse un silence tout en
écrivant pour que le lecteur puisse laisser retentir le début,
attendre: c'est à dire faire attention à ce qui va suivre en
s'interrogeant sur ce qui peut bien arriver dans ce monde
d'habitudes. Or, marquera une rupture, mais on
comprendra l'intérêt de Don quichotte pour la lecture des
romans de chevalerie.
Dans Le Chercheur d'or, Le Clézio ne nous dit-il pas: "Quand
la vraie vie n'existe pas, on rêve de la liberté."
Qu'est-ce qui peut bien arriver dans cette vie fermée sur elle,
dans le retour à intervalles réguliers de la fête ou de la
chasse qui désespère cette vie , sinon la prise de
conscience de ce que la vraie vie est ailleurs, sinon une
explosion comme expansion de la liberté, cette liberté
que nous devons à l'imaginaire qui nous permet de nous arracher
aux perceptions décevantes. Si la vraie vie est
ailleurs, c'est que nous l'imaginons ailleurs et cet ailleurs
pour Cervantès et son héros sera la lecture, la lecture des
romans de chevalerie et au cours de L'Odyssée, la lecture de la
réalité par l'imagination tout au long du périple de Don
Quichotte.
Nous voilà prêt à admettre que le personnage passe la plupart
de son temps à plonger dans les rêveries de roman de
chevaleries, au point qu'il sera assez fou pour croire qu'un
voyage permet de goûter "dans une réalité le charme
d'un songe." Proust, Du côté de chez Swann, I, 13 et
suivante.
Vers:
Don
Quichotte ...
Sur le chapitre premier ...Page
2 . S'absenter,
abandonner le cours ordinaire des choses
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