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« Puissances de l'imagination »

(voie d'accès choisie: le pouvoir de l'imaginaire - Perspectives par Joseph Llapasset)

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Cervantès, Don Quichotte (début) 

Sur Le Prologue: bizarre, étrange 

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=> Fantasque et plein d'étranges pensées: la redondance, pour une fois épargnée par la traductrice, insiste sur la bizarrerie: fantasque signifie d'abord bizarre tandis que étrange fait signe vers ce qui est bizarre, ce qui est hors du commun, original, en apparence mal inséré dans le cadre social; on parlerait maintenant de marginal. Mais l'étrange, ce n'est pas l'absolument autre, c'est à la fois ce qui est en apparence lointain et ce qu'une certaine sympathie nous rend prochain.
J'aurais souhaité: pour la deuxième fois le verbe souhaiter est employé pour signifier la formation d'un voeu qui ne s'est pas réalisé, comme si c'était l'intention de l'auteur qui comptait, et non ce qu'il a effectivement fait: une dédicace et des sonnets en tête de l'oeuvre.
Toute nue: réduite à elle même, à l'être pour ainsi dire, sans ses ornements ajoutés qui n'ont pour but que de faire paraître ce qui n'est pas, de nourrir l'imaginaire des lecteurs, de leur faire croire à la réalité de ce qui est irréel, comme par exemple de vanter la grandeur des relations de l'auteur dans la mesure où il dédicace l'oeuvre à un Duc, ou encore de faire croire à l'immensité de sa culture, à l'ampleur de ses lectures comme si il avait tout lu. "Nue", c'est à dire sans les vêtements qui n'ont pur but que de flatter, d'exciter l'imagination par un imaginaire, le contraire de ce qui est, surajouté. En ce sens on dira que la vérité  s'avance toute seule et toute nue parce qu'elle n'a besoin de rien d'autre que d'elle même, comme dans un pur plaisir.

 => A plusieurs reprises le prologue nous renseigne sur le dessein de l'auteur: "Ruiner le crédit et l'autorité qu'ont dans le monde les romans de chevalerie." (tome 1, page43);
"Démolir les inventions chimériques que sont les romans de chevalerie." (tome1, page 42).

Ce dessein n'est réalisable que si, du début à la fin, soucieux de vérité, le romancier / narrateur porte un regard extérieur sur le rêve et ses fantasmagories, ce qui le place sur le plan de la recherche et de la démonstration de la vérité, ce qui lui, permet sans cesse de dénoncer l'écart entre la rêverie et la réalité, et, du même coup, les puissances de l'imagination.

Son pouvoir de faire délirer celui qui oublie la distinction entre le réel et l'irréel, entre ce qu'il imagine et ce qui est, le pouvoir d'offusquer la perception mais aussi le pouvoir de générer cette bonté qui, plus d'une fois, fait rayonner Don Quichotte: pas de pitié sans imagination. Le bon père Malebranche en manquait: il battait en effet son chien et lorsque la bête hurlait, il se contentait de dire, c'est une poulie qui grince .

=> Au paraître dont la suffisance ne suffit jamais, Cervantès préfère l'être réel qui, réduit à ses limites, se suffit pour peu qu'il ait  l'humilité de reconnaître ses insuffisance. Paradoxalement cette humilité qui se détourne des mirages de l'imaginaire, qui amène Cervantès dans le Prologue à renoncer au pouvoir de l'imaginaire, à renoncer à paraître ce qu'il n'est pas, cette humilité dans son repli s'appuie sur le socle de l'être et peut alors donner une juste fierté, juste parce  n'ayant plus rien à voir avec l'imitation, le copiage et avec l'orgueil, elle est bien ajustée à ce qui est.

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