Analyse des
concepts de la 2ème partie.
"Premier
discours
Ne vous imaginez pas que ce
soit par un moindre hasard que vous possédez les richesses dont vous
vous trouvez maître, que celui par lequel cet homme se trouvait roi.
Vous n'y avez aucun droit de vous-même et par votre nature, non plus
que lui: et non seulement vous ne vous trouvez fils d'un duc, mais vous
ne vous trouvez au monde, que par une infinité de hasards. Votre
naissance dépend d'un mariage, ou plutôt de tous les mariages de ceux
dont vous descendez. Mais d'où ces mariages dépendent- ils? D'une
visite faite par rencontre, d'un discours en l'air, de mille occasions
imprévues.
Vous tenez, dites-vous, vos richesses de vos ancêtres, mais n'est-ce
pas par mille hasards que vos ancêtres les ont acquises et qu'ils les
ont conservées? Vous imaginez-vous aussi que ce soit par quelque loi
naturelle que ces biens ont passé de vos ancêtres à vous? Cela n'est
pas véritable. Cet ordre n'est fondé que sur la seule volonté des législateurs
qui ont pu avoir de bonnes raisons, mais dont aucune n'est prise d'un
droit naturel que vous ayez sur ces choses. S'il leur avait plu
d'ordonner que ces biens, après avoir été possédés par les pères
durant leur vie, retourneraient à la république après leur mort, vous
n'auriez aucun sujet de vous en plaindre....."
Réponse
à deux objections:
Moindre
hasard: Pascal nous dit comment interpréter l'anecdote, sa
signification. L'objection possible: nous avons reçu les biens que nous
possédons de nos ancêtres le hasard est moindre que dans votre récit,
n'est pas acceptable. En effet la condition des grands résulte d'un
hasard tout à fait semblable à celui qui amène la condition du
naufragé, reconnu comme ce qu'il n'est pas, le roi qui s'est perdu. Le
hasard n'est pas moins important (moindre) quand il s'agit des grands et
des biens possédés. Comprenons que Pascal qui veut amener les grands
à plus d'humilité, à plus de justice et donc au salut, s'attaque à
leur orgueil: ils s'imaginent mériter l'estime par leur seule richesse
et par leur noblesse reconnue par les institutions établies: mais leur
noblesse et leur bien n'a rien à voir avec leur mérite. Ils ont à
voir, bien plutôt, avec la fantaisie des législateurs, le hasard
de la fortune, sans aucune relation avec leurs qualités naturelles. Il
est donc impossible de déduire de leur grandeur d'établissement,qui
mérite certes un respect extérieur, leur valeur morale qui mériterait
l'estime pour ce qu'ils sont vraiment.
aucun droit de
vous même: le droit qui vous est reconnu a pour origine
l'institution et le hasard et non ce que vous êtes vraiment. Dans ces
conditions ce droit n'est pas issu de votre condition naturelle, d'une
quelconque grandeur naturelle. Ce que vous possédez, vous le devez donc
à l'institution qui a réglementé l'héritage en fonction du bon
plaisir, du tour d'imagination, de ce qui a plu au législateur. En
effet, les législateurs auraient aussi bien pu établir qu'à la mort
de vos ancêtres, tout ce que chacun aurait accumulé grâce au hasard
de la fortune revienne à la chose commune c'est à dire à la république.
Remarquer
ici que Pascal limite
l'ordre établi sans pour cela déclarer juste la désobéissance.
Il laisse donc la porte ouverte à un progrès social qui doit passer
par la transformation des institutions et non pas par une révolution
violente: ce que l'imagination a fait grâce à un accord partagé, peut
être défait ou transformé par un autre imaginaire plus conforme à la
justice et à la raison. Si l'ordre établi se fonde sur l'imaginaire et
un accord qui établit, il peut être remplacé par un autre "établissement".
Il semble important d'affirmer ici que Pascal ne s'oppose pas au progrès
social mais qu'il en détermine les conditions.
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