Voici une aide à la compréhension qui
s'appuie sur l'analyse de concepts et qui peut donc être utilisée au
cours de l'oral.
"Premier
discours
Pour entrer dans la véritable
connaissance de votre condition, considérez-la dans cette image.
Un homme est jeté par la tempête dans une île inconnue, dont les
habitants étaient en peine de trouver leur roi, qui s'était perdu; et,
ayant beaucoup de ressemblance de corps et de visage avec ce roi, il est
pris pour lui, et reconnu en cette qualité par tout ce peuple. D'abord
il ne savait quel parti prendre; mais il se résolut enfin de se prêter
à sa bonne fortune. Il reçut tous les respects qu'on lui voulut
rendre, et il se laissa traiter de roi.
Mais comme il ne pouvait oublier sa condition naturelle, il songeait, en
même temps qu'il recevait ces respects, qu'il n'était pas ce roi que
ce peuple cherchait, et que ce royaume ne lui appartenait pas. Ainsi il
avait une double pensée: l'une par laquelle il agissait en roi, l'autre
par laquelle il reconnaissait son état véritable, et que ce n'était
que le hasard qui l'avait mis en place où il était. Il cachait cette
dernière pensée et il découvrait l'autre. C'était par la première
qu'il traitait avec le peuple, et par la dernière qu'il traitait avec
soi-même.
...."
La véritable
condition des grands:
Est véritable
ce qui est conforme à la réalité, par opposition à ce qui est imaginé,
ce qui est faux et simplement basé sur l'apparence, le visible. Parler
de véritable condition c'est suggérer la nécessité d'un réveil par
lequel on sort de l'ignorance, de l'erreur, de cette illusion de
l'opinion qui croit connaître en ne se fiant qu'au visible, qui
satisfait imaginairement ses désirs. Ici, condition
désigne le rang social,la place dans une
société hiérarchique dans laquelle des inégalités sont justifiées
par des institutions, des établissements, dit Pascal. Tout ce qui est
institué relève d'une invention et donc de l'imaginaire, de l'irréalité.
L'imaginaire en effet, comme dans un jeu de rôle qui a ses règles, s'écarte
de la réalité. Un peuple dont le prince est un enfant, un esclave qui
se soucie davantage de plaire à son maître que de lui dire la vérité.
Grands: ceux
dont les institutions établissent une certaine valeur.
Jeté: sans
qu'il le veuille, comme si le hasard se jouait de lui: soulignez la
rencontre de deux séries causales indépendantes: d'une part le
naufrage et le processus causal ayant amené l'homme sur la plage d'une
île inconnue , d'autre part un roi perdu, le manque éprouvé par ses
sujets... La rencontre de ces deux séries causales va changer la
condition sociale du naufragé. Les indigènes transforment leur désir
de retrouver le roi en reconnaissance.
Reconnu comme roi
par le peuple: mettez en évidence le rôle de l'imaginaire dans la
confusion entre une image et la réalité du naufragé, le pouvoir de
l'institution, la reconnaissance qui donne un statut au naufragé, la
condition de roi, sans que cela corresponde à rien de réel. L'origine
de l'institution est dans tous les cas l'imaginaire.
Bonne
fortune: c'est un hasard heureux.
Traiter de roi: reconnaître comme roi, établir comme roi.
Se
laissa: sans protester de cette bonne aubaine, mais en restant
conscient en son fort intérieur de l'erreur et de l'illusion des indigènes;
gardant conscience de sa condition naturelle qui le met à égalité
avec les autres hommes.
Oublier:
ne plus se souvenir de.
Condition
naturelle: de la réalité de sa condition, il n'a aucun droit au
titre qui lui est donné, il ne peut s'en prévaloir. Il n'est pas le
roi des indigènes et de par sa condition naturelle il n'est que leur égal.
Dans son rapport avec lui même, dans le secret de sa pensée
personnelle, il sait bien qu'il est à la fois un usurpateur et un
voleur puisqu'il s'approprie un royaume qui ne lui appartient pas.
Deux
pensées: l'une à l'origine de son comportement affiché, par
laquelle il entre en contact avec les autres selon les institutions qui
le reconnaissent, l'autre à l'origine d'un regard lucide sur sa
condition naturelle véritable: rien, ni les institutions des indigènes,
ni sa condition naturelle ne lui donnent droit à ce que le hasard lui a
offert: deux pensées, donc: par l'une il se comporte envers le peuple
sur lequel il règne, par l'autre il entre en relation avec lui même
dans la vérité de sa conscience de soi
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