° Rubrique Etude de texte en philosophie

Etude de texte

Un auteur, un texte par Joseph Llapasset

MACHIAVEL

Nécessité des institutions. (Discours sur la première Décade de Tite-Live) 

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Le texte , sa problématique, mouvement, explication

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Tous les écrivains qui se sont occupés de politique (et l'histoire est remplie d'exemples qui les appuient) s'accordent à dire que quiconque veut fonder un État et lui donner des lois doit supposer d'avance les hommes méchants, et toujours prêts à montrer leur méchanceté toutes les fois qu'ils en s trouveront l'occasion. Si ce penchant demeure caché pour un temps, il faut l'attribuer à quelque raison qu'on ne connaît point, et croire qu'il n'a pas eu l'occasion de se montrer ; mais le temps qui, comme on dit, est le père de toute vérité, le met ensuite au grand jour.
Après l'expulsion des Tarquins, la plus grande union paraissait régner entre le Sénat et le peuple. Les nobles semblaient avoir déposé tout leur orgueil et pris des manières populaires, qui les rendaient supportables même aux derniers des citoyens. ils jouèrent ce rôle et on n'en devina pas le motif tant que vécurent les Tarquins. La noblesse, qui redoutait ceux-ci, et qui craignait également que le peuple maltraité ne se rangeât de leur parti, se comportait envers lui avec humanité. Mais quand la mort des Tarquins les eut délivrés de cette crainte, ils gardèrent d'autant moins de mesure avec le peuple qu'ils s'étaient plus longtemps contenus, et ils ne laissèrent échapper aucune occasion de le frapper. C'est une preuve de ce que nous avons avancé: que les hommes ne font le bien que forcément; mais que dès qu'ils ont le choix et la liberté de commettre le mal avec impunité, ils ne manquent de porter partout la turbulence et le désordre.
C'est ce qui a fait dire que la pauvreté et le besoin rendent les hommes industrieux et que les lois font les gens de bien. Là où le bien vient à régner naturellement et sans la loi, on peut se passer de loi, mais dès que viennent à expirer les moeurs de l'âge d'or, la loi devient nécessaire. Ainsi les grands, après la mort des Tarquins, n'éprouvant plus cette crainte qui les retenait, il fallut chercher une nouvelle institution qui produisît sur eux le même effet que produisaient les Tarquins quand ils existaient. C'est pour cela qu'après bien des troubles, des tumultes et des périls occasionnés par les excès auxquels se portèrent les deux ordres, on en vint, pour la sûreté du dernier, à la création des tribuns, et on leur accorda tant de prérogatives, on les entoura de tant de respects, qu'ils formèrent entre le Sénat et le peuple une barrière qui s'opposa à l'insolence des premiers.
Machiavel, Discours sur la Première Décade de Tite-Live

Problématique: 

Comment comprendre la fondation des institutions. A quel besoin leur invention vient-elle porter remède?

Ce texte est extrait du Discours sur la première décade de Tite-Live (historien latin), oeuvre que Machiavel commença vers la même époque que Le Prince mais qu'il ne termina pas. Il cherche des exemples dans le passé pour, grâce à sa raison, établir comment un bien peut jaillir de ce qui paraît un mal aux yeux de la conscience morale.
S'il est inutile de compter sur la bonté des hommes pour progresser, puisqu'il n'y en a pas, cela ne doit pas nous désespérer. Il ne faut pas se lamenter sur cette méchanceté mais suivre l'histoire qui nous invite à y voir la promesse d'un progrès puisque les divisions et les désordres on été, dans le passé, source de progrès.

Mouvement du texte et explication: 
1- Dans la première partie (jusqu'à "au grand jour" - la ligne 8), Machiavel pose une sorte de loi, un principe qui lui paraît incontestable, un postulat que le bon politique doit admettre: une hypothèse une supposition, ce qui n'apparaît pas au regard, n'est pas visible, mais que l'intelligible révèle: il faut supposer que les hommes sont méchants et que cette méchanceté s'exprimera, à chaque "occasion", c'est à dire chaque fois que cela sera possible, que la contrainte de la force disparaîtra.

2- Dans la deuxième partie (jusqu'à "le désordre" -la ligne 21), l'auteur à partir de l'analyse d'un exemple historique, la brusque disparition de l'ordre imposé par le joug des Tarquins, s'efforce de prouver la valeur de son principe.
En effet, avant cette brusque disparition, l'opinion qui croit à tout ce qu'elle entend et à tout ce qu'elle voit, qui se fie aux apparences hypocrites, aurait affirmé que les nobles du Sénat avaient bien changé! Plus d'ambition, semblait-il, et beaucoup d'humanité envers la plèbe. Mais ce n'était qu'une apparence car la disparition des Tarquins fit apparaître la réalité: la démesure et la persécution du peuple recommencèrent. C'est bien le mouvement du temps qui est le père de toute vérité, par exemple qui fait apparaître que l'amitié proclamée n'était qu'une simple camaraderie intéressée.

3- Dans la troisième partie, la raison s'exerce sur l'expérience pour en dégager des enseignements: Machiavel tire la conséquence des deux premières parties. Une institution est nécessaire: quand une institution disparaît, il faut en créer une autre, meilleure: ici, confier la garde de la liberté à des tribuns élus par le peuple. 
C'est que le désordre crée un besoin, le besoin d'une invention: l'excès de licence appelle une invention. Pour protéger la liberté du peuple de la démesure du sénat il faut créer une nouvelle magistrature: les tribuns, élus par la plèbe, qui seront les gardien de sa liberté

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