Expliquer
un texte
"Celui
qui se nourrit des glands qu'il a ramassés sous un chêne, ou
des pommes qu'il a cueillies aux arbres d'un bois, se les est
certainement appropriés. Personne ne peut nier que ces
aliments soient à lui. Je
demande donc : Quand est-ce que ces choses commencent à être
à lui? Lorsqu'il les a digérées, ou lorsqu'il les a mangées,
ou lorsqu'il les a fait bouillir, ou lorsqu'il les a rapportées
chez lui, ou lorsqu'il les a ramassées? Il est clair que si
le fait, qui vient le premier, de les avoir cueillies ne les a
pas rendues siennes, rien d'autre ne le pourrait. Ce travail a
établi une distinction entre ces choses et ce qui est commun
; il leur a ajouté quelque chose de plus que ce que la
nature, la mère commune de tous, y a mis ; et, par là, ils
sont devenus sa propriété privée.
Quelqu'un dira-t-il qu'il n'avait aucun
droit sur ces glands et sur ces pommes qu'il s'est appropriés
de la sorte, parce qu'il n'avait pas le consentement de toute
l'humanité pour les faire siens? était-ce un vol, de prendre
ainsi pour soi ce qui appartenait à tous en commun ? si un
consentement de ce genre avait été nécessaire, les hommes
seraient morts de faim en dépit de l'abondance des choses
[...]. Nous voyons que sur les terres communes, qui le
demeurent par convention, c'est le fait de prendre une partie
de ce qui est commun et de l'arracher à l'état où la laisse
la nature qui est au commencement de la propriété, sans
laquelle ces terres communes ne servent à rien. Et le fait
qu'on se saisisse de ceci ou de cela ne dépend pas du
consentement explicite de tous. Ainsi, l'herbe que mon cheval
a mangée, la tourbe qu'a coupée mon serviteur et le minerai
que j'ai déterré, dans tous les lieux où j'y ai un droit en
commun avec d'autres, deviennent ma propriété, sans que soit
nécessaire la cession ou le consentement de qui que ce soit.
Le travail, qui était le mien,
d'arracher ces choses de l'état de possessions communes où
elles étaient, y a fixé ma propriété."
Locke, Second Traité du Gouvernement Civil
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les principales étapes de l'argumentation.
1 - Point
de départ: la thèse de l'auteur.
La propriété a pour origine un travail: ramasser ou cueillir
par exemple, c'est incontestable.
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- Première étape de l'argumentation: l'auteur répond à un question
qui lui permet de situer l'acquisition première par rapport à l'effectuation
du travail parce que c'est lui qui ajoute quelque chose à la nature,
qui transforme un état donné: par cet effort le produit devient la
propriété de celui qui a fait l'effort.
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- Deuxième étape: cela lui permet de répondre à une objection:
l'individu n'a pas eu le consentement de tous pour s'approprier ce qui
appartient à tous en commun, c'est un voleur!
Locke donne plusieurs exemples (ainsi ...)
4
- Troisième étape: l'auteur en déduit sa conclusion. Cette conclusion
n'est autre que la thèse du début.
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Pour l'explication.
Le
fait qui vient en premier. C'est ce qui a été fait pour
ramasser ou cueillir qui a fixé la propriété parce qu'il a transformé
l'état dans lequel se trouvaient les glands ou les fruits (offerts à
tous) en propriété privée (l'individu se les ait pour ainsi dire
offert par son travail) c'est donc au début ou jamais que le travail
donne un droit de propriété.
Le
consentement de tous. Evidemment, si le consentement de tous était
nécessaire pour ramasser ou pour cueillir, personne n'aurait pu le réunir,
personne n'aurait pu manger et les hommes seraient tous morts de faim
avec à leur portée de quoi se nourrir! C'est nier le droit
naturel de se nourrir que de devoir demander le consentement de tous.
Pour
l'intérêt philosophique.
On ne peut qu'admirer la simplicité, la clarté, la rigueur de
l'auteur, son bon sens qui cherche avant tout à préserver les droits
de l'individu, à justifier la propriété par le travail qui a
transformé la nature. Son souci de ne pas justifier un Etat tyrannique
qui réglementerait tout en faisant dépendre toute action d'un
consentement qui échappe à l'individu: à l'horizon de ce texte, il y
a ce qu'on appelle le libéralisme.
Question
posée à l'auteur.
Si on se place à l'origine, le raisonnement doit être suivi
dans sa rigueur. Mais à partir du moment où la propriété et les
propriétés de la terre se seront étendues, peut-on toujours soutenir
que celui qui ne peut accéder à la propriété pourra être propriétaire
du fruit de son travail? Que dire devant le travail aliéné, inventé
par un autre, organisé par un autre qui profite à un autre. Faut-il
alors soutenir avec le Rousseau de la deuxième partie du Discours sur
l'origine de l'inégalité que la terre n'est à personne et que les
fruits sont à tous?
Le libéralisme ne doit-il pas être encadré pour que chacun puisse
encore accéder à la mère nourricière pour se nourrir sans attendre
le consentement de tous ceux qui possèdent les terrains et les moyens
de production?
"Il
faut quand même remarquer "MON cheval, MON serviteur"
à la fin du texte car voila des propriétés qui ne
correspondent pas au processus exposé!
N'est-ce pas l'indication que J-J Rousseau a raison de dire que
la propriété n'est pas un droit naturel et que (contrairement
aux remarques ironiques de Locke)? Il faut bien un consentement
des autres pour qu'elle existe: le respect des lois qui l'établissent."
Intervention
de Madame A. Gasnier, professeur agrégée de philosophie
(correcteur au Baccalauréat, série L)
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