Expliquer
le texte suivant
En menant une existence relâchée les hommes sont personnellement responsables d’être devenus eux-mêmes relâchés ou d’être devenus injustes ou intempérants, dans le premier cas par leur mauvaise conduite, dans le second en passant leur vie à boire ou à commettre des excès analogues : en effet, c’est par l’exercice des actions particulières qu’ils acquièrent un caractère du même genre qu’elles. On peut s’en rendre compte en observant ceux qui s’entraînent en vue d’une compétition ou d’une activité quelconque : tout leur temps se passe en exercices. Aussi, se refuser à reconnaître que c’est à l’exercice de telles actions particulières que sont dues les dispositions de notre caractère est le fait d’un esprit singulièrement étroit. En outre, il est absurde de supposer que l’homme qui commet des actes d’injustice ou d’intempérance ne souhaite pas être injuste ou intempérant ; et si, sans avoir l’ignorance pour excuse, on accomplit des actions qui auront pour conséquence de nous rendre injuste, c’est volontairement qu’on sera injuste. Il ne s’ensuit pas cependant qu’un simple souhait suffira pour cesser d’être injuste et pour être juste, pas plus que ce n’est ainsi que le malade peut recouvrer la santé, quoiqu’il puisse arriver qu’il soit malade volontairement en menant une vie intempérante et en désobéissant à ses médecins : c’est au début qu’il lui était alors possible de ne pas être malade, mais une fois qu’il s’est laissé aller, cela ne lui est plus possible, de même que si vous avez lâché une pierre vous n’êtes plus capable de la
rattraper. Pourtant il dépendait de vous de la jeter et de la lancer, car le principe de votre acte était en vous. Ainsi en est-il pour l’homme injuste ou intempérant : au début il leur était possible de ne pas devenir tels, et c’est ce qui fait qu’ils le sont volontairement ; et maintenant qu’ils le sont devenus, il ne leur est plus possible de ne pas l’être.
Aristote, Ethique à Nicomaque
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Qu'est-ce
qu'on vous demande? Une explication, qui permette de prendre
en compte le problème que se pose l'auteur et, ici, de
comprendre la solution qu'il donne.
Vous devez, me semble-t-il, commencer par ce que certains
professeurs appellent une explication stricte du texte: il
s'agit d'une explication au fil du texte sans rien
"sauter". Ce que vous n'avez pas compris,
signalez-le à votre correcteur: de toutes façons, cela
apparaîtra dans votre explication, dans la mesure où dans
un grand texte tout se tient. Votre explication fera
apparaître progressivement le problème et la solution, en
suivant l'articulation du texte. Par exemple dans ce texte
en donnant la signification des "mais" qui le
rythment.
Cela
ne vous dispense pas de reprendre le problème et la
solution après l'explication.
Dans un paragraphe concis et précis, vous faites le
bilan.
_____________________
=
Pour cerner le problème ...
Comment
se fait-il, que la première fois, il est si facile de ne
pas accomplir une action, et que, dès qu'une habitude s'est
installée on n' est plus capable que de faire de vains
souhaits? Comment peut être jugé responsable celui qui
agit par habitude, qui suit une "seconde nature"
déterminante. N'est-il pas inconscient et dépourvu de
volonté?
Dans
ce texte, Aristote donne la solution du problème: le choix
libre et responsable est initial, la suite, on en est responsable parce qu'on l'a
choisie.
=
Explication strictement linéaire ...
On
peut la réaliser en soulignant les articulations du texte
et en mettant en lumière ce que l'auteur
fait.
=>
Dans la première phrase, Aristote pose sa thèse et la
justifie.
Les hommes deviennent eux-mêmes par leur conduite qui les
constitue en leur donnant un caractère essentiel.
Une existence relâchée
- C'est une manière de vivre selon des comportements et des
conduites dans lesquels on se permet des choses que la
justice du droit ou la morale de la personne réprouve: on
manque de vigueur, de rigueur.
Personnellement responsables
- Il y va de
leur propre responsabilité. Il serait vain d'accuser leur
nature ou la société.
Mauvaise
conduite
- Ils sont injustes, ne suivent pas le Droit
intempérants
- ou alors
ils mènent une vie dissolue du point de vue de la morale.
excès
- Emportés
par leur passion et la recherche effrénée du plaisir ils
poursuivent la jouissance de la boisson ou de l'amour.
En
effet -
Introduit l'ordre d'un raisonnement: si les hommes sont
personnellement responsables, c'est que, en faisant des
actions relâchées, ils finissent par attraper un
caractère essentiel qui les conforme à leurs actions:
dis-moi ce que tu fais, je te dirais ce que tu seras. Ici,
effectivement, l'existence précède l'essence ou plutôt un
caractère de l'essence(
remarquez que je ne nomme pas Sartre: voir pourquoi à la
fin):
par leur choix premier ils se construisent. A l'appui de
cela, Aristote donne l'exemple de l'exercice physique dans
lequel l'action énergique donne son caractère à celui qui
l'exerce: il devient énergique. Celui qui s'entraîne finit
donc par devenir semblable par un point à la
caractéristique des actions qu'il s'impose. Ici ils
deviennent énergiques. Derrière cela il y a un
raisonnement par analogie qui permet de passer du physique
au moral.
=>
Maintenant Aristote répond à des objections et
pense tout haut, comme s'il se promenait dans un jardin avec
des amis ou des disciples.
aussi
- En conséquence, il caractérise d'esprit étroit celui
qui ne veut pas admettre que les dispositions de notre
caractère sont l'effet de ce que nous avons fait de
manière continue.
un esprit singulièrement
étroit
- Un esprit
particulièrement borné, qui n'a pas de largeur de vue, qui
n'est pas ouvert à l'expérience, à la réalité, qui
reste fermé dans ses préjugés.
=> Aristote
répond à une autre objection:
l'inconscience. Celui qui agit ainsi fait ce qu'il ne
souhaite pas. Il ne décide pas librement car il ignore ce
qu'il fait. Or la responsabilité exige la conscience de ce
que l'on fait et la décision volontaire de le faire. Or,
cette objection ne vaut rien: en effet, il n'ignore pas que
ses actions sont relâchées, il savait qu'il allait créer
des habitudes et son intelligence lui disait qu'il
deviendrait injuste. En conséquence celui qui mène une
existence relâchée est personnellement responsable.
=>
A celui
qui lui dirait qu'il est toujours possible de changer de cap
(attention à ne pas trop utiliser le rapport
existence/essence chez Sartre car pour ce dernier l'homme
est totalement libre, ce n'est pas ce que dit Aristote quand
il compare celui qui souhaite changer de cap et se convertir
à un malade qui souhaite être guéri),
Aristote répond que
c'est impossible ou très difficile dans le moment présent.
On ne revient pas en arrière pour faire un autre choix. En
réalité si l'homme qui mène une existence relâchée est
pleinement responsable, c'est aussi et surtout parce que
initialement, au commencement, avant d'agir de cette
manière, il était libre de refuser ce comportement, il
était libre de choisir la vertu. Ainsi Aristote rejoint
Platon: ceux qui ont une existe relâchée ont choisi avant
d'arriver aux rivages de lumière d'avoir cette existence.
Dieu est innocent.
lâché
une pierre
- Il faut peut-être traduire et comprendre
"lancé" une pierre. La comparaison avec un
phénomène naturel laisse entendre que pour Aristote ce qui
vaut pour la nature vaut pour l'essence que l'homme a
choisie en choisissant la route d'une existence
relâchée,ou plus précisément pour le mouvement qu'il
initie. L'habitude est bien une seconde nature. Le choix est
comparable au jet de la pierre. Il y a un avant et un acte
de liberté dans lequel se joue la responsabilité: on se
choisit et on n'arrête pas le mouvement. (on peut penser à
l'accoutumance fruit d'un certain relâchement).
Le
principe de votre acte
- Ce qui détermine l'acte envisageable, ce qui est à
l'origine.
en
vous -
en tant que sujet libre doué d'une intelligence et d'une
volonté exerçant son pouvoir de décider de prendre une
route tracée ou de ne pas la prendre.
=>
Aristote conclut en présentant un bilan
de ce à quoi il est parvenu.
Ainsi
- C'est donc au début, dans le choix premier de commettre
des actions dissolue qu'on choisit ce que l'on va devenir.
Après ce choix, un caractère apparaît progressivement
auquel il est impossible d'échapper, car on n'échappe pas
à soi tel qu'on est devenu.
Remarque:
Un professeur recommande de ne pas multiplier des
références aux auteurs pour éviter un contresens
toujours possible et il a raison. Par exemple la
référence à Sartre semble s'imposer et on
m'interroge sur la pertinence d'avoir parlé de
l'existence qui précède l'essence. Si vous l'avez
fait c'est bien (sans nommer Sartre),. Si vous l'avez
fait en précisant qu'une partie de ce texte, celle
où Aristote parle d'une maladie à laquelle on ne
peut échapper, une partie de ce texte ne serait pas
acceptée par Sartre c'est mieux. Pensez à sa pièce
Huis clos: "L'enfer c'est les autres". Elle
se passe en enfer. Après la mort en effet, on ne peut
rien réparer. Tant qu'on est vivant la liberté et
totale, ce qui signifie au minimum qu'on peut changer
de route, ce que, vous en conviendrez, Aristote
refuse.
Il était donc aventureux d'identifier la pensée
d'Aristote et celle de Sartre.
De même la référence à Platon exige quelques
connaissances sur le mythe du choix. Si on élargit
vers Kant, il faut savoir ce que c'est pour cet auteur
que le caractère intelligible.
Puisqu'on vous dit dans le libellé que les
connaissances ne sont pas exigées, vous pouvez très
bien en rester à une "explication
honnête du texte qui rende compte, par la
compréhension précise du texte, du problème dont il
est question".
Après tout vous n'avez que quelques mois de
philosophie derrière vous... |
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